Séjour Tourisme à BITCHE du 13 au 20 Septembre 2025 (1)
par Monique et Jean-Jacques
Nous étions 34 à ne pas connaître du tout cette région éloignée, la Moselle en Lorraine et le Nord de l’Alsace, tout près de la frontière allemande, assez peu fréquentés des touristes. Nous nous attendions à un voyage où il serait surtout question d’histoire, la grande, celle des guerres de 1870 et de 14-18, et ce fut le cas bien sûr. Mais que de découvertes que nous n’attendions pas ! Les paysages, la forêt et les plaines agricoles, mais aussi la géographie humaine : l’industrie en déclin dans ce « grand Nord », les traditions qui perdurent, l’artisanat toujours vivace, la gastronomie, et la qualité humaine de ses habitants qui se sont trouvés aux premières loges des grands conflits mondiaux, se sont relevés des guerres et des pertes industrielles, sans oublier leurs ressources de joie de vivre. Nous avons trouvé et ressenti tout cela, avec l’ambiance chaleureuse de CBN entre nous.
Comme pour aller en Bretagne, il a fallu partir tôt, mais avec le plaisir d’être conduits et accompagnés par Thomas, la bonne humeur était déjà au départ. 6H30, il fait encore nuit, le jour se lève mais pas le soleil, et puis il apparaît et la pluie annoncée pour le séjour nous épargnera toute la semaine ! Arrêts à Beaune, puis à Mulhouse, sur l’autoroute, et quand on en sort, on suit tout au long « la ligne bleue des Vosges » dont le massif s’allonge du Nord au Sud sur notre gauche. On reconnaît la forteresse de Belfort, le château du Haut Koenigsbourg, le mont Sainte Odile, et à notre droite la plaine d’Alsace. Le paysage agricole est de plus en plus vallonné, et puis on entre dans la forêt, immense, très verte encore. Le VVF est dans la forêt, au bord d’un lac, nous logeons tous dans le même bâtiment. Installation, présentations d’usage, programme de la semaine, nous ferons tout ce qui était prévu mais à des moments différents en fonction des disponibilités de nos lieux de visite et des imprévus locaux.
Le lendemain, c’est dimanche : kouglof au petit déjeuner, et nous partons avec l’une de nos guides, Nathalie. Notre première découverte sera celle de la forêt, dont nous avons mesuré l’ampleur sur les routes de l’arrivée. Le VVF est lui-même en pleine forêt, près d’un lac dont nous pourrons faire le tour aux retours des visites. Nathalie est une randonneuse, elle nous apprend qu’il y a 5000 km de chemins de randonnée entre Bitche, Haguenau et Saverne, dans le Parc National régional des Vosges du Nord et celui des ballons des Vosges au Sud. La forêt est partout, et si les sommets ne sont pas très élevés (autour de 400 m), il y a montées et descentes qui donnent beaucoup de dénivelé. Mais hélas, il y a un bémol… Les tiques !! Le premier club de marche fut celui du Club Vosgien, créé juste après la guerre de 1870.
Quand nous sortons de la forêt, le paysage est vaste, légèrement vallonné, nous traversons des villages qui avaient été entièrement détruits pendant la guerre, les habitants évacués en Charentes dès l’invasion de la Pologne. On est ici à un km de la frontière allemande. Nous arrivons au moulin d’Eschviller, sa scierie et son musée : toute la matinée sera consacrée à l’exploitation de la forêt.
Le guide du site est le président des Amis du Moulin, un passionné qui commence par préciser la géographie des lieux. Nous sommes bien en Lorraine, mais il faut dire plus exactement en Moselle-Est qui se prolonge par l’Alsace du Nord. Plus précisément encore, nous sommes dans la vallée de la Schwalb, petite rivière de 26 km qui se jette dans la Horn en Allemagne. La région est très boisée et l’on traite le bois depuis fort longtemps, par exemple au XVIII ème déjà, les fûts étaient envoyés aux Pays Bas pour faire des mats de bateaux et au retour, on ramenait des pommes de terre que les hollandais connaissaient avant nous. La Schwalb alimente le bief qui conduit au moulin qui actionne une scierie. Le moulin est construit en 1731 sous l’impulsion du Duc de Lorraine François II (qui a précédé à Stanislas Leszczynski dont la fille va épouser Louis XV) par le baron Zoller, et il a fonctionné deux siècles. Il n’a été arrêté qu’en 1932, quand l’électrification des machines l’a rendu inutile. Il est resté intact jusqu’à la Libération, quand les Américains l’ont détruit.
Rappels historiques : vous remarquerez ici que les monuments aux morts ne mentionnent pas le pays (on ne trouve pas « Morts pour la France », mais « À nos morts »), parce que les habitants ont été tantôt français, tantôt allemands. Le premier septembre 1939, c’est la déclaration de la guerre, les gens ont trois heures pour partir et seront accueillis en Charentes pendant un an. En 1940, ils reviennent en novembre mais sont expulsés, ils ne reviendront qu’en 1945. C’est que les Allemands s’entraînaient alors au camp militaire de Bitche.
Nous nous divisons en deux groupes pour visiter respectivement la scierie et le moulin.
La scierie : La région est composée de deux identités : le pays ouvert, vers Metz, pays de cultures sans forêt, et le pays fermé, vers Strasbourg, couvert de forêts sans cultures. Il y a beaucoup de scieries traditionnelles, mais vers les années 1750, on découvre les premières scies actionnées par la force hydraulique, qui donne la puissance idéale à chaque machine. La force hydraulique est utilisée depuis longtemps, chez les Romains déjà, pour les moulins, mais on va la maîtriser pour les scieries.
Les essences forestières évoluent. On favorise maintenant le Douglas pour le bardage (il a beaucoup de résine et le bardage résiste), on a des résineux mais aussi des feuillus, hêtres et chênes surtout. On sait que l’on mesure l’âge d’un arbre en comptant ses anneaux circulaires, l’anneau foncé est celui de l’hiver, le clair de l’été.
Le moulin et la scierie fonctionnent donc avec une roue hydraulique installée sur le bief. Le guide actionne la roue, qui est énorme. Et l’on entre dans l’immense bâtiment qui contient des machines différentes selon le travail des forgerons et leur choix de différentes poulies. Certaines viennent des Vosges, mais aussi d’autres régions forestières, le Jura par exemple. La roue actionnée, les machines se mettent en marche, c’est très impressionnant, des courroies immenses font déplacer les scies (elles se croisent pour inverser le sens de rotation … j’ai compris sur place pourquoi c’est important, mais maintenant…), qui ont différentes lames et qui débitent des troncs d’arbres ou font du débardage. Une machine plus ancienne (XVII ème), ne coupe qu’en descendant, au début du XVIII ème la lame coupe en montant et descendant et la planche est plus vite finie. Les machines datant du début du XVIII ème sont plus lentes que les plus tardives. Le long d’un couloir sont exposées les scies à main traditionnelles (le métier de bûcheron est dur), et puis les premières tronçonneuses (en 1951, elles pèsent 80 kg…). Au bout du couloir, nous allons voir comment on fabriquait une roue de charrette (il ne suffit pas d’avoir inventé la roue, encore faut-il la construire et ce n’est pas simple !)
Le moulin nous est plus familier. Mais l’exposition est très pédagogique : sont exposées différentes sortes de céréales : le blé dur (pour les pâtes), le blé triticole issu d’un croisement du seigle, l’orge pour brasserie, le blé barbu pour la boulangerie… Le bief est calculé pour que la roue tourne à 16 tours minute de façon régulière. A la sortie, un tamis trie la farine de riche, celle du bourgeois, celle du pauvre. On les goûte… eh bien la farine de riche, très tamisée, trop pure, est la moins bonne, il vaut mieux qu’il reste un peu de son comme dans la farine de pauvre !
Ce véritable musée dont les machines fonctionnent malgré leur âge est une découverte surprenante, il participe à la sauvegarde d’un patrimoine riche, les moulins ont nourri et les scieurs ont construit depuis toujours avant la force de l’électricité. Et les guides sont passionnés et passionnants. Nathalie nous rappelle au retour qu’il y a un musée du pain à Sélestat (en plus d’une bibliothèque humaniste réputée la plus riche au monde).
L’après-midi, nous partons pour visiter la citadelle de Bitche, et après tout ce que nous avons appris sur la forêt, le bois, nous allons être confrontés à l’Histoire, celle des guerres dont cette région a été la première touchée en 1970, 1914, 1940. Nous longeons l’étang qui borde le VVF, où il y a une cigogne, les cigognes quittent de moins en moins les lieux car elles sont nourries sur place (quelques fois sur les déchetteries) et elles sont elles aussi victimes des changements climatiques.
Bitche est une petite cité de caractère de 5000 habitants, dominée par cette butte plate que l’on voit de partout et dans laquelle a été creusée la citadelle, à l’emplacement de l’ancien château des ducs de Lorraine. Après la guerre de 30 ans il a été annexé par la France, puis donné par Louis XV à son beau-père Stanislas Leszczynski (chassé de son trône de Pologne) et revenu au royaume de France après la mort de celui-ci en 1770.
Nous grimpons la rampe qui mène aux grilles de la citadelle, au passage, aperçu sur le paysage et la fréquence du grès rose dans les bâtiments (il y a aussi du grès des Vosges blanc et gris), et en haut, nous nous séparons en deux groupes et prenons des casques dont les explications vont se déclencher au passage des différentes salles et des différents étages de cet énorme masse de défense souterraine, bien sûr modifiée par Vauban après le démantèlement du château, et renforcée aux XVIII ème et XIX ème siècles. C’est pendant la guerre de 1870 que la forteresse subira le plus long siège de cette guerre désastreuse de Napoléon III. Les habitants ont dû se réfugier dans la citadelle et le colonel Teyssier va résister pendant 230 jours, refusant la défaite française. Dans les lieux stratégiques de la forteresse, un film de Gérard Mordillat raconte ce siège par épisodes. Bitche ne s’est pas rendue, mais l’Alsace-Moselle devient allemande. En 1918 elle redevient française, les ouvrages souterrains de la ligne Maginot sont creusés sous les collines même si en 1940 ils ont été peu efficaces. La citadelle sert de refuge en 1944-45 pendant les bombardements américains jusqu’à la libération de Bitche. Il reste peu de bâtiments sur le plateau à part la chapelle, et le paysage est vaste alentour.
Au retour, nous pouvons revenir avec Thomas dans le confort du car, pour profiter des tours du lac dans la forêt, ou bien revenir à pied par la ville, le long de l’Horn, et le bois.
Le lundi matin, nous partons pour visiter la fromagerie de Steinbach, le trajet permet à Cédric de nous présenter encore d’autres aspects de la région. Si la citadelle de Bitche est maintenant un musée, la présence militaire demeure. Nous empruntons une route qui traverse un immense camp militaire, celui d’un régiment d’infanterie, le 16 ème bataillon de chasseurs à pied. Le camp, en activité, couvre 3500 ha, il y a eu au plus fort 5 500 hommes sur ces lieux, maintenant encore 1 500.
Le massif des Vosges s’étend sur sept départements, les Vosges, le Haut-Rhin, le Bas-Rhin, La Moselle, la Meurthe-et-Moselle, la Haute-Saône et le Territoire de Belfort. Les sommets des Vosges du Nord culminent à 580m d’altitude, ceux des Vosges du Sud à 1 422 m au ballon d’Alsace.
Les carrières de grès rose des Vosges sont nombreuses, il n’y a de granit ici que sur les hauteurs du Mont Sainte Odile. La forêt est riche en gibier et en champignons !
Nous arrivons à la ferme des chèvres, (150 laitières, 5 boucs, 30 chevrettes) où l’on nous explique le quotidien de l’élevage. Les animaux ont du foin à volonté, ils sont beaux, mais ne sortent pas parce que la ferme ne possède pas de terrain (il est vrai que le long de la route nous n’avons vu dans les prés que des vaches Shetland). Tout est transformé sur place en particulier dans la fromagerie, dont nous allons goûter les produits. Si nous regrettons que ces bêtes ne paissent pas en plein air, il faut dire que l’assortiment de fromages de chèvre parfumés est excellent…
Au retour, rappel d’Histoire pour fixer ce que nous avons appris hier :
Cette région n’a été française donc que depuis 1658 après la guerre de 30 ans, sous Louis XIV, et encore pas toutes les villes… Elle l’est restée jusqu’en 1870 où elle revient à l’Allemagne après la défaite de Napoléon III. Le traité de Francfort en 1871 donne l’Alsace et la Lorraine (cette dernière pas en entier) à l’Allemagne, jusqu’en 1919 où elle revient à la France au traité de Versailles. Mais en 1940, elle est occupée, dès 1942 des hommes incorporés de force dans l’armée allemande, souvent envoyés sur le front de l’Est, se nommeront « les malgré-nous ». 14 d’entre eux devront participer au massacre d’Oradour sur Glane, jugés plus tard et acquittés. Entre les deux guerres, la période est compliquée, parce que la Prusse avait investi dans la région après 1971 (la gare de Strasbourg par exemple y a été construite), et les avantages sociaux étaient meilleurs qu’en France. Il a fallu un « droit local » pour les conserver. De même, la Libération a été difficile, elle a des dates différentes pour chaque ville. Bitche a été libérée le 1er janvier 1945, mais la ligne Maginot seulement le 16 mars. (Après tout, la Rochelle n’a été libérée que le 8 mai…). Pour être très exact, il faudrait parler d’ « Alsace-Lorraine » jusqu’en 1919, mais après, il faudrait dire « Alsace-Moselle », parce que toute la Lorraine n’était pas concernée. Les frontières n’ont été fixées dans leur situation actuelle qu’en 1922, en particulier pour le Territoire de Belfort qu’il a fallu ajouter comme dernier département français sur la liste (avant les départements autour de Paris rajoutés plus tard).
L’après-midi, après l’Histoire du matin, la Géographie ! (Cédric est incollable…) Nous partons pour le chemin des cimes, où nous serons au-dessus de la forêt. Celle-ci couvre 794 000 ha sur les trois départements du Grand-Est, et la Moselle est le moins boisé alors qu’il nous semble être partout en forêt ! C’est qu’en Moselle il y a aussi des cultures et des vignes. La forêt est composée de 61 % de feuillus (chênes, hêtres, peupliers, fruitiers…), le reste de résineux (Douglas, sapins…) On fabrique et on porte encore des sabots ! Nous avons déjà eu un aperçu des métiers du bois, il y a aussi ceux du verre, pour lequel il faut du bois, de la silice, de la potasse et de l’eau. On ne doit plus utiliser le terme de « cristal » qui contient du plomb, on est en train de chercher comment le remplacer. (Il semblerait que les américains ont laissé du coca-cola dans des verres en cristal et qu’au bout d’un certain temps, le coca contenait du plomb…). Autrefois les verriers se déplaçaient de vallée en vallée en fonction des ressources, et puis aux environs du XV ème siècle ils se sont installés dans les villages.
Devant les panneaux de noms des localités que l’on traverse, et qui nous paraissent imprononçables, Cédric nous fait un cours de toponymie, en décomposant préfixe, racine du mot et suffixe… Nous allons en direction de l’Alsace : il y a de plus en plus de petites maisons à colombage. Leur disposition n’est pas arbitraire : les losanges espèrent pour la maison la fécondité, la croix de Saint-André la fertilité des terres, le point-virgule symbolise le couple. Les maisons à colombage résistent mieux aux séismes, on peut les démonter et les reconstruire ailleurs. Avant la Révolution, elles étaient considérées comme des meubles !
Et nous sommes aussi sur la ligne Maginot : on passe devant un char d’assaut, près d’un petit blockhaus.
Le chemin des cimes a été construit sur un terrain militaire de l’aviation, sans terrain d’atterrissage, mais où se trouve maintenant le parking. Nous prenons un petit train qui grimpe dans la forêt. Nous arrivons au départ du chemin des cimes, montons par une rampe régulière à travers les arbres, et puis dans une large tour hélicoïdale qui monte elle aussi très régulièrement jusqu’au-dessus de la canopée,
et là, le paysage est à 360 °, d’un côté sur la plaine du Rhin, de l’autre sur la montagne et l’Allemagne, et à nos pieds la forêt immense. Nous sommes en plein vent (que l’on ne sentait pas plus bas), mais sans pluie, et l’horizon est bien dégagé : superbe !





