Le chat dans la BD
par Jean-François
Pourquoi s’intéresser au thème du chat dans la bande dessinée ? Eh bien, principalement parce que ce compagnon si proche des êtres humains y occupe une place plus rare que le chien et que je voulais voir comment il avait été traité dans cet univers.
Bien que la bande dessinée ait une origine européenne (1), c’est aux États-Unis que les chats ont commencé à avoir le premier rôle.
Le tout premier est celui dessiné par George HERRIMAN et qui s’appelle Krazy Cat [en français : « le chat cinglé »]. Ses aventures paraissent dans les journaux américains de 1913 à 1944.
Son succès, en dehors des passionnés de BD est resté limité. C’est vrai que ce chat était déroutant pour l’époque avec ses démêlés loufoques. Amoureux d’une souris (Ignatz Mouse) qui lui jette une brique à la tête, il bénéficie de l’aide d’un agent de police (le sergent Pupp). Ces histoires pleines de non-sens et de poésie ont été adaptées en dessins animés dès 1916. Ces personnages, quasi inconnus en Europe, n’ont été découverts en France qu’en 1971 (dans la revue Charlie mensuel).
Le deuxième chat qui a connu, lui, une célébrité internationale, c’est Félix le chat. En sens contraire de « Krazy Cat », il a d’abord existé comme personnage de dessin animé. Créé par Otto MESSMER et produit par Pat SULLIVAN, il est apparu pour la 1ère fois en 1919 aux USA. Il est ensuite publié en bande dessinée cette fois dans les journaux du dimanche en Angleterre à partir de 1923. En France, il sort en albums chez Hachette dès 1931. On en comptera 19 jusqu’en 1940. Ma grand-mère en avait un exemplaire dans un des tiroirs de sa commode (c’est le tout premier de 1931, il est « collector »).
Titi et Sylvestre (appelé aussi « Grosminet ») est une série télévisée américaine de 1942 à 1964 créée par Gerry CHINIQUY, Robert CLAMPETT et Fritz FRELENG. Adaptée en bande dessinée en France par Sagédition de 1974 à 1987 (150 numéros). Sylvestre est un chat noir et blanc avec une truffe rouge qui cherche sans succès à croquer un canari prénommé Titi. Son juron favori est Nom d’un chat ! tandis que la réplique la plus célèbre de Titi est : Z’ai cru voir un gros Minet !
Tom et Jerry est une série de courts-métrages animés aussi américaine créée en 1940 par William HANNA et Joseph BARBERA. Cette fois, le chat, à ses débuts curieusement bleu (Tom), pourchasse une souris (Jerry) extrêmement maligne. Il arrive en France dans une publication portant leurs noms en juin 1953 chez Périodiques et Éditions Illustrées (PEI).
Le premier chat français me semble être Hercule dans la bande dessinée Pif le chien. Il paraît en 1950, 2 ans après Pif, dans les pages du quotidien L’Humanité. Pif est dessiné par José Cabrero ARNAL (2). C’est un chien d’allure anthropomorphe qui forme un couple antagoniste (plus tard complice) avec le chat Hercule. Hercule est, lui, un chat de gouttière qui porte un sparadrap rouge sur une joue. Pif aura son propre journal qui deviendra Pif Gadget en 1969.
Cette fois, c’est un couple complice, Moustache et Trottinette, que nous présente CALVO (3) dans le journal Femmes d’aujourd’hui, de 1952 à 1957. Ce journal, né en 1933, était acheté régulièrement par ma mère. Il se trouvait stocké au bas d’une grande penderie au 1er étage de la maison où je suis né et j’allais y chercher avec impatience la pleine page qui contait la suite de leurs aventures. 12 albums parus de 1976 à 1978 rassemblent leurs péripéties qui vont de l’époque des mérovingiens en passant par le Moyen-âge, les mousquetaires sous Louis XIII, les guerres de Napoléon et même le Far West. Charme, tendresse et humour pour ces 2 personnages servis par un style foisonnant et un luxe de détails.
Voilà aussi, Azraël le chat de Gargamel le sorcier dans la bande dessinée des Schtroumpfs sorti du crayon de de PEYO (alias Pierre CULLIFORD) en 1958. Son rêve est de croquer un Schtroumpf. C’est un chat roux et blanc avec une truffe noire et une langue rouge. Presque aussi mauvais que son maître, il affiche presque toujours une mine maléfique.
Le chat de Gaston Lagaffe (qui n’a pas de nom) est un des protagonistes de la série Gaston apparue dans le magazine Le Journal de Spirou en 1957. Il est dessiné par l’immense André FRANQUIN, un auteur belge francophone (4). Gaston Lagaffe est un peu l’anti-héros par excellence et le roi incontesté de la gaffe sous toutes ses formes. Le chat lui ressemble et se retrouve à l’origine de multiples « boulettes » dans la rédaction où Gaston l’emmène (avec d’autres animaux comme la mouette rieuse).
Retour aux USA avec le sulfureux Fritz le chat de Robert CRUMB. C’est un personnage des comics américains qui paraît en 1959. Figure marquante de la bande dessinée pour adultes, il ne fait évidemment pas partie des publications pour la jeunesse compte tenu de la liberté de ton et des frasques sexuelles dans lesquelles le dessinateur le met en scène.
Chaminou le chat détective est une série de bande dessinée belge créée par Raymond MACHEROT dans l’aventure Chaminou et le Khrompire paru dans le journal Spirou en 1964. Chaminou, qui vit en ville moderne avec publicités et télévision, est un agent de la police secrète du roi qui affronte le Khrompire (en fait le gouverneur) qui veut pouvoir manger de la viande !
Un peu plus tard, on trouve le chat Sénéchal dans la bande dessinée CUBITUS. C’est une série franco-belge humoristique créée par le dessinateur DUPA en 1968 dans le journal TINTIN. Sénéchal est un chat noir et blanc, voisin et pire ennemi, mais aussi punching-ball, collègue ou parfois meilleur ami de Cubitus.
Je ne parlerai pas de Jujube dans la bande dessinée Gai Luron créée aussi en 1964 par Marcel GOTLIB. Car c’est, contrairement aux idées reçues, un RENARD !
Par contre, Garfield, lui est bien un chat dont l’obsession de la nourriture et les relations avec son maître sont plutôt savoureuses. Dessinée par Jim DAVIS, elle est publiée pour la première fois en 1978 dans 41 journaux américains. En 2010, elle paraît dans plus de 2570 journaux, dans 111 pays, traduits en 28 langues ! L’histoire est une suite de gags tournant autour d’un gros chat orange, nommé Garfield qui se caractérise par son humour méchant et féroce, sa fainéantise ainsi que ses réflexions désabusées, parfois philosophiques.
Dans la bande dessinée Maus de Art SPIGELMAN publiée de 1980 à 1991 dans Raw, une revue avant-gardiste de comics, l’auteur transpose dans le monde animal l’histoire des camps de la mort nazis. Ces derniers sont représentés en chats et les juifs en souris (Maus en allemand). C’est sans doute la cruauté prêtée aux chats qui jouent avec la souris qu’ils ont fait prisonnière avant de la tuer qui a guidé le choix du dessinateur.
Le Chat est une série humoristique dessinée par Philippe GELUCK, artiste belge et parue en 1983 dans un supplément du journal belge Le Soir. Il met en scène un chat corpulent gris, aux oreilles pointues, au gros nez et à la bouche peu visible. Dans de nombreux gags, le chat énonce des constats curieux, paradoxaux, des vérités, des sentences ou des positions politiques.
Le chat du rabbin est une bande dessinée écrite et dessinée par Joann SFAR. Parue en 2002, elle montre au début du XXe siècle le chat d’un rabbin d’Alger qui raconte sa vie et ses dialogues avec son maître. En effet, ce chat parle depuis qu’il a dévoré le perroquet de la maison et a tendance à dire ce qu’il pense sans inhibition. Il remet tout en question, autant les apprentissages du rabbin que les fondements mêmes du judaïsme. Le rabbin décide de lui enseigner les livres saints du judaïsme pour le remettre sur le droit chemin.
Simon’cat (le chat de Simon) est également au départ une série de petits films diffusés sur internet en 2008 avant de devenir une bande dessinée. Créée par le britannique Simon TOFIELD, elle a pour personnage principal un chat domestique particulièrement exigeant, voir insupportable, avec son maître.
Conclusion de ce bref survol
– je n’avais pas soupçonné le nombre de bandes dessinées issues des dessins animés.
– une constante : le chat n’a pas le bon rôle dans la bande dessinée. Il est souvent méchant ou sadique, dominé par ses instincts de chasseur, ou bien alors il est peu futé, voire même passablement idiot avec pour résultat qu’il se fait souvent « avoir » ! C’est rarement son côté amical, doux, tranquille lorsqu’il vit auprès de l’homme qui est choisi (à l’exception de Moustache et Trottinette). Et même dans ce cas, (voir Garfield et le Chat de Simon), il peut garder un côté tyrannique et sarcastique. Cet animal a 2 faces, mais il incarne plutôt dans la bande dessinée des tendances négatives.
Notes :
(1) Les historiens considèrent le Suisse TöPFFER (1799-1846) comme étant son inventeur et son 1er théoricien. Ce pédagogue et homme politique, grand randonneur, a en effet créé des « histoires en estampes » de 1827 à sa mort (parmi celles-ci, citons : Les Amours de M. Vieux Bois, l’Histoire de Monsieur Jabot ou l’Histoire de Monsieur Cryptogame). Celles-ci ont rencontré un grand succès et influencé les dessinateurs ultérieurs (comme par exemple CHRISTOPHE auteur du Sapeur Camembert, du savant Cosinus et de la Famille Fenouillard ou Wilhelm BUSCH, créateur de Max et Moritz qui inspirera ensuite Rudolph DIRKS et ses Katzenjammer Kids devenus en français Pim, Pam, Poum).
(2) José Cabrero ARNAL a aussi dessiné le tandem Placid et Muzo dans la revue Vaillant.
(3) Edmond-François CALVO a aussi fait paraître en 1944 un album intitulé La bête est morte ! qui raconte l’histoire de la Seconde guerre mondiale transposée dans un univers animalier (le scénario est de Victor DANCETTE). Les Allemands sont représentés par des loups, les Italiens par des hyènes, les Japonais par des singes jaunes tandis que les Américains le sont par des bisons, les Anglais par des chiens et les Français par des lapins, des grenouilles, des écureuils et des cigognes.
(4) André FRANQUIN est aussi le dessinateur de Spirou et Fantasio, le créateur de Modeste et Pompon et du Marsupilami.