Belle journée de mai en Corrèze
par Monique
Il a fallu se lever tôt, mais nous sommes tous là, et nous remplissons l’autocar qui prend l’ancienne RN 89 avant de rejoindre l’A 89. Tout au long jusqu’à Tulle, c’est le paysage accidenté et très vert, talus pleins de genêts en fleur et de rhododendrons. Nous arrivons à Beaulieu où Sandrine, de l’Office du Tourisme invite un groupe à visiter la ville tandis que l’autre groupe se rend à l’embarcadère des gabares.
L’histoire de Beaulieu remonte au milieu du IXème siècle, quand Rodolphe de Turenne s’arrête sur un méandre de la Dordogne, frappé par la beauté du site : « bellus locus » deviendra Beaulieu. Il y fonde un monastère, l’abbaye de Solignac y envoie douze moines et l’abbaye s’entoure d’une petite cité qui, au XIIème, sera entourée de fortifications percées de trois portes.
Il reste peu de choses de l’abbaye si ce n’est une partie du cloître et la salle capitulaire, mais surtout l’église abbatiale. Sa porte principale sur son flanc Sud donne sur l’ancienne place du marché, endroit populeux. Pour l’instruction religieuse du peuple, il faut orner l’église de scènes bibliques. Le très beau tympan roman de cette porte représente une Parousie, le retour du Christ à la fin des temps, moment qui précède le Jugement Dernier. Autour de la figure christique, trois étages représentent le ciel, la terre et l’enfer, au-dessous, des animaux qui peuvent symboliser les péchés capitaux (et qui rappellent les sculptures de Moissac). Le trumeau qui coupe la porte représente les trois âges de la vie, sur les côtés, Saint Pierre et Saint Paul, caractéristiques de la « mouluration limousine ». Sous le porche, Daniel dans la fosse aux lions et la triple tentation du Christ.
C’est l’église la plus grande du département. De la fin du XIème datent le chœur, le transept, la nef est achevée fin XIIème, puis agrandie au XIIIème et même au XVIIIème. La tour date du XIVème. La voûte en pierre exige une lourde technique pour équilibrer les poussées, les tribunes étaient réservées aux pèlerins. Le chœur comporte le sanctuaire, un déambulatoire et des tribunes. La coupole est sur pendentifs. Les chapiteaux ont des sculptures simples mais sont mieux décorés à la base des colonnes (ce qui est bien différent du Roman auvergnat !)
Une Vierge du XIIème sur un Trône de Sagesse, (l’enfant a un visage adulte pour enseigner) est entourée de deux bras recouverts des XIIIème et XIVème, et d’une châsse en émail du XIIIème, selon la technique de l’émaillerie en champ levé.
La chapelle de la Vierge a un retable de 1678 qui a été doré au XVIIIème. Une autre chapelle réservée aux paroissiens comporte un retable XVIIIème, baroque, elle est consacrée à deux saints et à Saint Benoît (l’abbaye est bénédictine).
La ville a des maisons à encorbellement datant du XVème, à colombage. La maison d’un consul, datée de 1787, comporte des génoises et la statue d’un petit gabarier. La tour Sainte Catherine d’Alexandrie est du XIIème. Nous arrivons derrière le chevet de l’église, le clocher octogonal est soutenu par une base carrée, elle-même soutenue par l’élévation du chœur et du déambulatoire. Il y a 270 modillons dont les sculptures sont plus libres que celles de l’église. On devine l’ancien cloître. La tour Renaissance est de style quercynois.
Nous descendons vers la rivière au bord de laquelle est la chapelle des Pénitents Bleus, chapelle paroissiale de Notre-Dame du port haut. Elle a été construite au XIIème, surélevée pour éviter toute crue, et a appartenu à une confrérie de pénitents catholiques qui luttaient contre les protestants. Elle sert maintenant de salle d’exposition.
Pendant que l’autre groupe part dans la ville, nous embarquons sur la gabare. Le guide nous parle des poissons de la Dordogne, de la réintroduction du saumon et de l’esturgeon pour qui il a fallu construire des passes à poissons après la construction des barrages sur la rivière. L’architecture quercynoise des maisons au bord de l’eau est belle, avec leur balcon au premier étage (en cas de crue !). Le nom de « Dordogne » signifie « eau tumultueuse », les noms de Dore et de Dogne des ruisseaux qui la forment dans le Sancy auraient été donnés après son appellation (nous sommes dubitatifs…) C’est une réserve naturelle de la biosphère. (je cite le gabarier, toujours) La gabare est un bateau à fond plat qui transporte de la marchandise, il est en chêne et en châtaignier. Les couraux qui naviguaient à Souillac transportent des matériaux de construction (bois, pierre du Quercy) jusqu’à Libourne et remontent avec du vin et du sel (parfois des produits d’outre-mer) grâce au chemin de halage. Notre gabare comporte un mât de halage. La batellerie est donc composée du courau et du courpet corrézien ; celui-ci est un bateau rustique en bois divers, coulé pour que le bois gonfle et ressorti pour la navigation qui ne dure que 30 jours environ par an, à l’automne et au printemps, quand on peut passer les gorges de la Dordogne. Ce bateau descend vers la mer mais ne remonte pas, on en vend le bois pour le chauffage. Les hommes reviennent à pied. Ils ramènent des nouvelles de l’océan, et des légendes… (celle de la coulobe, serpent ailé, aurait donné le nom de couleuvre)
Nous arrivons près de rapides, il faut tourner ! Le capitaine confie la manœuvre à une jeune femme qui s’en tire avec bonne humeur !
On est gabarier de père en fils. Il y a un pilote, un apprenti qui sera en charge de la gaffe, le « ferrat », deux rameurs qui font la « tirade ». Il y a eu 1000 ans de batellerie, à son apogée en 1850, c’est le transport de marchandise le plus rapide. Un mètre de gabare transporte une tonne de marchandises, on met huit heures entre Argentat et Souillac. La batellerie a été détruite par le chemin de fer, et ici aussi par le phylloxéra. Et puis on a construit cinq barrages dans les gorges. Mais il y a eu deux gabarières, Adèle et Clarisse (c’est le nom du bateau !) qui ont assuré la traversée de la rivière à Beaulieu, répondant à une cloche à qui voulait passer…
En 1952 a eu lieu la dernière grande crue, une marque le signale sur le mur qui entoure la chapelle des pénitents. Et les deux groupes se retrouvent au restaurant au bord de l’eau.
Après quelques péripéties et un retard qui nous a été excusé bien que d’autres touristes attendaient, nous arrivons à Martel et allons au plus vite dans notre wagon réservé, en passant devant la locomotive à vapeur, superbe, qui fume… noir. La ligne faisait Turenne, Brive, Rodez, nous ne ferons que descendre en pente douce jusqu’à Saint-Denis de Martel. Le vieux train fait du bruit, on n’entend pas toutes les explications diffusées, mais il y a une belle vue sur Martel, un joli chevreuil qui galope vers le bois, la voie a été creusée dans le calcaire et après la maison du garde-voie et un tunnel de 400 m, nous sommes au-dessus de la vallée de la Dordogne, paysage magnifique, sur aqueduc impressionnant.
A Saint Denis de Martel, le train fait demi-tour, cette fois nous sommes dans le sens du vent, attention aux escarbilles ! Mais le paysage est toujours aussi beau, nous faisons une halte aux courtils et avons tout le loisir d’admirer Martel, puis les vielles machines retapées par des bénévoles et notre locomotive. Quartier libre dans Martel, nous partons par petits groupes vers l’église (autre tympan mais plus modeste qu’à Beaulieu), le marché couvert… où Josiane, en bon reporter, pense à ses photos plus qu’à sa sécurité… Un pompier la prend en charge, appelle ses collègues, et nous devons la laisser à leurs bons soins, les nouvelles sont bonnes le lendemain.
Retour sous un aussi beau temps que le matin et que dans toute cette riche journée.