La Dame de Montrognon (partie 1)

élaborée céans par Messire Georges, contée par Dame Suzanne

   Clermont au printemps 1302, le cœur de la cité fête le mariage de messire Guillaume de la maison des dauphins d’Auvergne, seigneur de Montrognon, Champeix, Aubière et Chamalières avec la noble demoiselle Louise d’Allanche, nièce de dom Jean d’Allanche, archidiacre de la cathédrale chez qui elle vivait, sur la place Devant Clermont ; le mariage était disproportionné, les d’Allanche n’étaient que de petite noblesse.
La cérémonie achevée, les époux sortent de la cathédrale. Une foule immense est rassemblée et les attend sur la place Devant Clermont ; la cathédrale à l’époque est faite de constructions de deux époques ; le chœur et le transept sont gothiques et la nef est celle de l’ancienne basilique romane.
Les hallebardiers sortent les premiers suivis des bedeaux, des enfants de chœur et de huit jeunes et beaux pages aux couleurs de la mariée, rouge, blanc, noir, puis les deux époux. Il se fit à ce moment un grand remous dans la foule qui criait : -Les voilà ! Les voilà !
La mariée est vêtue d’une robe de fine laine des FLANDRES à corsage blanc et à jupe jaune sur laquelle sont brodés trois blasons : en haut celui des dauphins d’Auvergne, or sur fond d’azur, celui des d’Allanche, de gueules (rouge) à la tour muraillée d’argent et celui de Mont Rognon, sinople (vert) à la croix d’argent ancrée ; sur ses cheveux un voile transparent à lisière lamée d’argent.
À peine âgée de 17 ans, elle est très belle, grande, svelte. Son mari marche fièrement à ses côtés, son béret à plume de héron d’une main, saluant la foule de l’autre ; il porte une cuirasse sur laquelle est jetée une écharpe aux couleurs de sa femme, un haut de chausse et des bottes éperonnées. Mais son visage, front bas, nez aquilin, barbe noire épaisse indique un caractère violent. Le vautour de Mont Rognon est devenu le maître de la blanche colombe.
Un laquais à cheval jette dans la foule des poignées de deniers et de liards, fruits de la largesse du marié. Tout le monde monte dans les carrosses et on note que les d’Allanche font triste figure à côté de la famille du marié.
Une collation est servie au château du comte-évèque de Clermont, Aycelin, puis on se dirige vers le château de Mont Rognon où doit être servi le repas de noce.

   Cependant, en franchissant la poterne, la mariée est prise d’un malaise et s’évanouit à côté de son époux. Elle vient en effet de reconnaître dans la foule Hugues de la Roche Amblard, cadet de la branche la plus modeste de cette noble famille.

   Le grand père s’était ruiné à la croisade ; la famille vivait modestement d’un petit fief et demeurait aussi sur la place Devant Clermont ; l’oncle de Louise la confiait souvent à la dame de la Roche Amblard ce qui fait qu’elle et Hugues avaient été quasiment élevés ensemble, ce qui devint plus tard de l’amour.
Hugues n’était pas vraiment beau mais c’était un garçon solide, élevé selon les traditions de la chevalerie.
Un jour Guillaume de Montrognon, en visite à Clermont, aperçut Louise, s’en éprit mais fut éconduit par l’archidiacre qui ne voulait pas désespérer sa nièce. Entêté, Guillaume alla voir le père de Louise et lui fit valoir les avantages d’une telle alliance. Le père céda, les relations entre les jeunes gens devinrent rares au grand désespoir de Louise et de Hugues ; Louise devait s’incliner devant un des plus beaux partis de la région.
Hugues assista au mariage de celle dont il croyait être aimé et qui l’avait abandonné sans un mot d’adieu.
C’est alors que Guy d’Auvergne, grand commandeur de l’ordre des Templiers d’Aquitaine, en résidence à Chanonat, vint vers lui, et connaissant ses sentiments, lui proposa de rejoindre l’ordre pour oublier ; ce qu’il fit aussitôt.
La troupe des Templiers venue accompagner Guy, au galop, rattrapa le cortège nuptial. À la vue de son bien aimé au milieu d’eux, la mariée pâlit, ses lèvres blêmirent et elle s’évanouit.

   Actuellement, le château de Mont Rognon, « montagne rugueuse », a un air sinistre mais il n’en a pas toujours été ainsi ; il fut bâti au milieu du XIII ème siècle par le dauphin d’Auvergne.
Son ancêtre, Guillaume VII, avait accompagné celui qui deviendra Saint Louis à la croisade et à son retour, trouva ses terres accaparées par son oncle qui était chargé de les garder ; un des descendants de ce dernier devint évêque de Clermont et donc de ce fait comte-évêque de Clermont.
L’héritier de Guillaume VII, lui, acquit par mariage le titre de noblesse de dauphin et devint donc dauphin d’Auvergne, capitale Vodable ; c’est pour garder un pied dans la région de Clermont qu’il fit construire Mont Rognon, d’où des armes presque semblables à celles du comte-évêque.

   Le château était petit mais solide ; le pont levis s’ouvrait en direction de Ceyrat ; à l’intérieur, bien abrités, la chapelle, le donjon (c’est ce qui reste) et la maison seigneuriale avec à droite la salle d’audience et à gauche les pièces d’habitation.
Autour, la citerne, les écuries, les greniers, les caves, et le logement de la garnison pour une centaine d’hommes.
Le château fut rasé sur ordre de Richelieu en 1634, pour asseoir l’autorité royale.

   Nous sommes maintenant en 1307 : la châtelaine est dans sa chambre avec lit à baldaquin, hauts sièges, bahut sculpté, tapisseries ; elle a 23 ans, c’est une beauté accomplie, que vingt galants chevaliers ont pris pour Reine d’Amour au cours des tournois.
Elle a appris par la paysanne qui lui sert de servante, que Hugues a déserté son prieuré. Aussi les Templiers ont engagé contre lui la procédure qui consiste en trois sommations solennelles espacées d’une semaine : s’il ne revient pas, il sera déclaré hérétique et livré au bûcher.
Louise a demandé à Michel d’Opme, le plus vaillant de ses chevaliers servants de répondre à la sommation de l’ordre, pour le compte de Hugues qu’elle n’a pas oublié.

   Nous sommes dans le territoire qui sépare Ceyrat de Beaumont : un homme vêtu du costume des trouvères, justaucorps noir, chausses noires, cap et toquet noirs, avec une vielle sur le dos, contemple rêveusement le fier château de Mont Rognon dressé sur sa butte.
Soudain il est pris à partie par cinq ou six chiens et se trouve face à messire Guillaume courant sus à d’éventuels braconniers. S’étant fait connaître comme Gaspard de Mirasol, célèbre trouvère du Midi, Guillaume l’invite à dîner en son château, pensant qu’il pourrait distraire son épouse.