Passion d’adhérent : Nicole G., dentelière

–   Nicole, tu as une passion originale, la dentelle ; comment as tu attrapé le virus ?

–   Ma mère était couturière dans un atelier de Mode, j’ai donc toujours vécu dans cette ambiance. Mais le vrai tournant a eu lieu quand j’ai fait la connaissance de mon mari.

dentelle verte : technique du Puy : originellement, elle servait à faire des métrages, des bandes ; on doit avoir autant de fuseaux au départ et à la fin.

Autre caractéristique : les dessins en forme de fuseau, d’olive,  typiques de cette dentelle.

Celle ci est plus moderne, j’ ai eu besoin de 64 fuseaux.

   Dans sa famille, dans la région de Saint-Anthème, toutes les femmes avaient pratiqué la dentelle. Sa tante en a vécu jusque dans les années 50. Dès que je lui ai été présentée, elle m’a mis un « carreau » sur les genoux (le mot veut dire « coussin » en vieux français), et comme ça me plaisait, elle me l’a donné, sa petite fille ne s’y intéressant pas. Les choses sont restées en l’état, jusqu’à ce que nous allions à une exposition du club de dentelle de Montluçon où nous vivions. Je m’y suis inscrite, j’ai intégré une « école » formidable, où l’animatrice était ouverte à tout, toutes les techniques, toutes les manifestations dentellières de la région.

–   Ça a été le début d’une passion ?

–   Oui mais la dentelle était tombée très bas à cette époque : il y a une trentaine d’années, pour trouver du matériel, des modèles, il fallait faire les brocantes, trouver un stock de mercière, c’est comme ça que Georges et moi, nous nous sommes mis à les fréquenter.

   Quand Georges a été muté à Clermont, j’ai commencé à adhérer au club de Beaumont, mais l’ambiance était différente, il était replié sur lui même, je ne m’y suis pas plu. Ensuite je suis allé faire de la dentelle au CRDP dans la grande salle de la bibliothèque ; je me souviens d’avoir participé à un concours (on était 2) et avoir été recalée parce ce que j’avais utilisé du fil de lin de couleur… C’était une autre époque.

   Puis un nouveau directeur nous a demandé d’aller voir ailleurs. Nous nous sommes retrouvées à la rue, jusqu’à ce que l’une d’entre nous propose de créer un club à Clermont Ferrand (il n’y en avait pas) ; son mari travaillait à la Mairie et a obtenu une salle, c’était la condition n°1. Je me souviens que notre première Assemblée Générale a eu lieu sur un banc public, c’était un 13 juillet.

dentelle de Brioude, inspirée par la dentelle polychrome de Bayeux

   A cette époque, il était difficile de se procurer du lin, des modèles, il fallait importer d’Angleterre, d’Allemagne, de pays où l’on respectait mieux les traditions ; le fait d’avoir une fille et un mari qui se débrouillent dans des langues étrangères m’a fourni un avantage pour approvisionner mes collègues et le fait que j’ai été cambiste quand je travaillais, me facilitait le travail de conversion des monnaies (c’était avant l’euro) ; mes amies étaient tellement en manque de fil que ça m’est arrivé de leur en céder sans avoir reçu la facture.

   Bref, à mon activité de dentellière s’est ajoutée une activité de « détaillante » (entre guillemets, je revendais au prix coûtant), y compris à des dentellières d’autres clubs. J’ai toujours mon magasin, mais il est moins actif car on trouve de tout facilement maintenant.

   En tout cas, une chose est sûre, les dentellières sont pour l’euro, elles achètent européen, c’est curieux pour un métier qui plonge ses racines dans le passé.

petite dentelle russe

Là, 16 fuseaux suffisent, c’est un lacet qui se tortille et on remplit les espaces entre.

Il ne faut pas se tromper quand un fil doit sortir du lacet pour faire le remplissage et y revenir, sinon, il faut défaire et revenir en arrière, au carrefour manqué !

–   Tu as retrouvé l’ouverture d’esprit de ton club de Montluçon, ou bien tu le leur as transmis ?

–   C’est sûr, on ne se contente pas d’apprendre la dentelle du Puy (je fais partie des formatrices, il ne faut pas dire professeure car je n’ai pas le diplôme pour cela) ; on apprend et fait apprendre d’autres techniques : on a récemment été à France-Russie montrer ce que c’est que la dentelle russe (dont nous avons appris la technique qui n’est pas celle de la dentelle du Puy, de Normandie, de Mirecourt, d’Angleterre, de Flandres etc…).

   Toutes les fois qu’un couvige (rassemblement de dentellières dans le patois du Puy) est organisé dans la région, une équipe d’entre nous s’y déplace (c’est pourquoi nous avons toujours un break comme voiture principale ; il faut un véhicule qui peut transporter 4 dentellières, leurs carreaux, leurs panneaux d’exposition…). Régulièrement est posée la question : qui veut aller à tel couvige, telle exposition, visiter tel musée ? Nous exposons aussi dans des fêtes de pays, aux côtés d’une fileuse, d’un scieur de long…

–   Et bien sûr toujours une ouverture sur l’étranger, même si ce n’est plus pour acheter du fil ?

–   Même à l’étranger on achète : il y a tellement de variétés de fils (je me souviens d’avoir voulu acheter un fil très spécial , je crois que c’était aux Pays Bas, quand je suis arrivée au stand, une demi heure après l’ouverture de la salle des marchands, il avait tout vendu, j’en étais rouge de rage) ; on collectionne les fuseaux, les dés à coudre, les timbres de dentelle, les cartes postales, chacune a son petit jardin secret.

   Il y a un peu plus de 30 ans a été créée, à l’initiative de dentellières belges et françaises, une association internationale, l’OIDFA (Organisation Internationale de la Dentelle aux Fuseaux et à l’Aiguille – il y a aussi la dentelle à l’aiguille qui est plus compliquée que la dentelle aux fuseaux). Celle ci recouvre maintenant tout le monde dentellier (toute l’Europe et les ex colonies anglaises : on a pratiqué la dentelle dans les colonies françaises, mais elle n’a pas survécu sauf à Madagascar).

dentelle Duchesse, très très fine

C’est une dentelle aux fuseaux à fils coupés : on ne peut pas parler en nombre de fuseaux car on en enlève et on en rajoute.

Tous les deux ans, l’OIDFA organise un Congrès où se rencontrent plusieurs centaines de dentellières. Nous y allons en groupe (logement en auberge de jeunesse -ça rappelle les gites de CBN- pour consacrer le maximum de notre budget  à la dentelle) ; en août 2018, nous étions une dizaine à Zaandam aux Pays Bas. La dentelle nous donne l’occasion de voyager, il y a deux ans, Ljubljana en Slovénie, dans deux ans, Tartu en Estonie.

   En 2012, ce sont les Françaises qui ont organisé le Congrès à Caen ; toutes les dentellières de France se sont mobilisées et déplacées ; je tenais (avec d’autres bien sûr) le stand Auvergne au scriptorium de l’Abbaye aux Hommes ; ma fille était trésorière de l’opération, avec un budget de plus de 500 000€ ; tous les soirs elle récoltait les recettes-espèces et Georges les portait à la banque en regardant par dessus son épaule s’il n’était pas suivi…Ça a été beaucoup de travail mais aussi un moment extraordinaire !

–   Parle nous de ton club !

–   Le Couvige des Dentellières de Clermont Ferrand assure des initiations presque tous les mardis après midi de 14 à 19h, mais en fait, on vient quand on veut et on part quand on veut ; pour les débutantes, nous prêtons le matériel ; au départ, on utilise toutes les sortes de fil, lin, soie, lurex, mais le fil, sa grosseur, dépendent du modèle ; ça m’arrive de défaire une dentelle commencée car elle n’est pas belle avec le fil choisi ; on essaye de denteller avec un nouveau type de fil déniché sur un marché.

   Le terme de « cours » est exagéré, en fait, on vient faire de la dentelle entre copines, et les débutantes dentellent aussi et de temps en temps lèvent le doigt : « Nicole, je n’arrive pas à faire ce croisement… ». On papote (les langues de dentellières sont réputées), on échange des informations, j’ai vu à la télé une émission sur la dentelle à tel endroit, j’étais chez ma fille à Limoges et j’ai vu une exposition etc. Mais pour progresser, il faut en faire aussi chez soi.

modèle en cours de fabrication : dentelle de Retournac

36 fuseaux ; elle ressemble à la dentelle du Puy mais avec des différences, entre autres le crochetage qui ne se fait pas au Puy.

   Un club de dentelle se doit d’organiser régulièrement un couvige qui va rassembler les dentellières des autres clubs de la région ; il faut s’y prendre 2 ans à l’avance pour avoir une salle, il faut choisir un thème d’exposition pour le club, tout le monde va denteller dessus, il faut assurer la communication, en allant rendre visite aux collègues ; nous organisons un couvige en 2019, le thème est la géométrie en dentelle.

dentelle de Chantilly : fil noir très fin, à peu près 300 fuseaux, motifs de fleurs; servait à faire des mantilles, des ombrelles, des “barbes” (bande qui servait à fixer une coiffe)

Pour faire une barbe, on faisait deux bandes en commençant pas les 2 bouts ; le raccord des fils est moins visible au centre que des nœuds pour arrêter les fils à l’extrémité.

–   Tu fais de la dentelle tous les jours ?

–   Tous les jours, l’après midi, le soir. Pendant que Georges est affalé sur la canapé à regarder un film policier à la télé, je dentelle, je suis le film et parfois je trouve l’assassin avant lui !

   Mais pour conclure, et comme je sais que tu as été prof de maths, je dirais que nous avons un point commun : une dentellière doit être très organisée, très logique ; pas question d’être tête en l’air quand on a 100 fuseaux étalés devant soi…(et parfois plus encore).