Saissac (1)
par Monique et Marie-Françoise
Le séjour « visites » est enfin possible, direction le Sud : Autoroute A75, toujours aussi belle, viaducs de Garabit et de Millau, et après le tunnel du pas de l’Escalette, c’est le Midi. Autoroute du Sud, et puis une petite route : nous logeons dans la Montagne Noire. De ce village perché, on devrait voir les Pyrénées mais pour le moment le temps ne le permet pas. Le début du séjour est dans la grisaille, mais la fin sera si belle que les quelques gouttes de pluie (qui ne nous ont interdit aucune marche) feront partie de ce que nous avons appris. Car la Montagne Noire est la réserve d’eau de toute une région, que ce soit pour la consommation (notamment de Toulouse) ou pour le canal du Midi.
Le lundi, avec notre guide compétente et sympathique, nous partons vers la plaine : La montagne est une zone d’élevage et de forêt, la plaine est le paradis de la vigne, où chaque terroir est différent et où les cépages s’adaptent à chaque terrain. On arrive à Carcassonne, la cité fortifiée entourée de ses deux remparts. Les premiers datent du IV ème lorsque les romains, dont l’empire est en déclin, se défendent contre les Visigoths. Et puis en 1209, la cité est assiégée par la croisade contre les Albigeois (les cathares), et la ville devient royale (elle appartient au roi de France et plus au vicomte de Trencavel), on surélève les premiers remparts et l’on construit l’enceinte extérieure. Au XIX ème, des dégradations détruisent partiellement la cité et elle sera sauvée par un carcassonnais qui convainc Mérimée de son intérêt patrimonial, lequel sera relayé par Viollet-le-Duc. Entre les deux remparts, les lices avec cinq barbacanes en demi-cercle. Au XIII ème, c’était une petite citadelle, puis en 1659, après le traité des Pyrénées, ses défenses deviennent inutiles et avant l’intervention de Mérimée et les restaurations au XX ème, il y a eu bien des vicissitudes : c’est dire la complexité architecturale d’une cité qui est habitée maintenant par une cinquantaine de personnes. Mais il reste quelques maisons du XIII ème, la basilique St Nazaire (de style roman puis gothique) dont les vitraux du XIV ème sont intacts. Le château comtal a été occupé par trois dynasties, le sénéchal qui l’occupe après la défaite des cathares renforce ses défenses par crainte de ses administrés. Il est maintenant transformé en musée, avec les statues originales et les stèles de la basilique réunies ici pour les protéger. La cité n’a pas été construite sur la plus haute colline de son territoire, mais sur celle qui est la plus proche du fleuve.
Nous déjeunons au cœur de la cité puis partons vers l’abbaye de Saint-Hilaire. C’est une abbaye bénédictine du VIII ème, la règle de St Benoît de Murcie comporte 72 chapitres qui divise le temps des moines en périodes de prière et périodes de travail, chaque partie de l’abbaye correspond ainsi aux différentes occupations. L’église est lumineuse, le chœur est roman, la nef a déjà des croisées d’ogive, le sarcophage sculpté raconte l’histoire de St Cernin. Les moines ont abandonné l’abbaye un peu avant la Révolution, et le cloître a servi à tout… Mais les appartements de l’abbé (laïc) ont révélé des plafonds peints du XV ème avec des scènes d’artisanat, de fauconnerie, mais aussi des diablotins et des scènes plus légères, voire licencieuses. Dans le réfectoire, le moine lecteur est placé dans une niche en hauteur, l’acoustique est très bonne… Et la cave est au-dessus (mais oui), c’est là qu’un moine a inventé le premier vin pétillant au monde en 1531.
Le mardi, nous partons dans la Montagne Noire, dans une forêt dense de hêtres où il y a cèpes et loups. Le village de Charbonnières doit son nom au charbon de bois obtenu à partir du bois de hêtre, et nous arrivons à Sorèze. Le premier village était en hauteur, sur un oppidum habité jusqu’au bas-Moyen-Age dans des « caunnettes » ou « caunes ». Au XI ème, les moines assèchent les marécages et l’on descend à Sorèze, où l’eau permet de feutrer les draps de laine dans le grand lavoir communal. Et l’on extrayait d’une coque pressée, par oxydation, le bleu pastel qui permettait de teindre en bleu. Draps et pastel ont fait la richesse de ce « pays de Cocagne ».
A la fin du XIV ème, l’église est démantelée par les protestants mais ils en gardent le clocher comme tour de guet. Les catholiques reconstruisent une église dans l’abbaye qui devient, elle, une école militaire réputée dont un des derniers directeurs fut Lacordaire. Elle n’a été fermée qu’en 1980, restaurée par Pierre Fabre (des laboratoires du même nom), on y fait conférences, colloques, concerts…
Nous partons pour Revel, sa bastide est en carré autour d’une belle halle. C’est qu’après la croisade, on a construit des villes nouvelles sur ce plan géométrique qui permet de surveiller les habitants, gouvernées par un consul qui édicte règles de vie et prix des denrées alimentaires…
L’après-midi, nous partons à Castres : musée Jean Jaurès, et le long de l’Agout, les maisons sont celles des anciens artisans de la laine et des tanneurs et parcheminiers du XII ème. Au XVI ème, la richesse vient du paste, la ville a une forte population protestante.
Le soir, il est donc question d’hérésie, tout particulièrement cathare !
Le mercredi, c’est la journée de l’eau. Il pleut… mais c’est l’eau de la Montagne Noire qui nous importe, nous allons à Castelnaudary, qui n’est pas seulement la patrie du cassoulet que l’on prépare dans les « cassoles » faites dans la terre rouge qui nous entoure. C’est là en effet que s’élargit le canal du Midi en un grand bassin d’où nous embarquons sur la péniche St Roch.
Des Romains à Louis III, on a pensé à une jonction Atlantique-Méditerranée qui éviterait aux bateaux de faire le tour de la péninsule ibérique. Pierre-Paul Riquet va en faire l’œuvre de sa vie, en convaincant Colbert au XVII ème. La construction commence en 1666, pour PPR les eaux de la Montagne Noire suffiront à alimenter le canal, à l’Ouest il y a la Garonne, à l’Est l’Aude. Le canal fait 254 km, jalonnés de 350 ouvrages : ponts, écluses, tunnels, ponts-canaux… PPR meurt en 1680, le canal est inauguré en 1681. Il sera ruiné par le chemin de fer et les moyens modernes de transport des marchandises, il sert maintenant à l’irrigation et au tourisme. La pluie a cessé, la navigation est tranquille, les platanes en bordure sont beaux (même si des bûcherons coupent et brûlent les arbres malades), on croise des canards, on passe l’écluse automatique de la Planche, il faut être patient…
Nous sommes dans le Lauragais, la végétation est luxuriante, mûrier, olivier, platane. Le maïs a remplacé la culture du pastel, le canal est poissonneux, il y a des oiseaux de rivière et des ragondins, nous avons vu une oie bernache. Nous saurons bien d’autres choses sur le canal à Saint-Ferréol…