Le petit Carcassonne en Berry

par Marie-Annick

   Le château d’ Ainay le vieil a deux particularités : d’une part, il appartient à la même famille depuis 551 ans : il a été acheté le 14 décembre 1467 par l’ancêtre des propriétaires actuels, Charles Chevenon, seigneur de Bigny, grand maître des Coureurs de France (c’est-à-dire des Postes royales), d’autre part il n’a jamais été attaqué !
   Ce château a été construit au XIIIème siècle, par un jeune seigneur, Jean de Sully dans un but défensif. Sa position est stratégique : il est bâti sur la frontière qui séparait les domaines francs de ceux d’Aquitaine. On disposait là pour la construction : de la pierre des carrières de La Celle, du bois de la forêt de Tronçais et de l’eau du Cher tout à proximité. De forme octogonale, il avait une double enceinte, entourée de douves, et un donjon.
   Mais aujourd’hui, le château est une élégante demeure : à la Renaissance, le donjon a été détruit ainsi que l’enceinte extérieure pour laisser une vue sur les jardins. Ils permettent une promenade odorante et reposante : on déambule dans la roseraie de roses anciennes et le Carré de l’île avec ses charmes taillés en palissade ; on découvre les Chartreuses avec dans chaque enclos un jardin à thème.

   Commençons par le château, toujours habité. L’enceinte féodale est intacte : voici l’entrée avec ses deux tours jumelles, les assommoirs, la herse (« en bois, mais peinte pour faire croire qu’elle est en fer », « en chêne, 8 jours pour la brûler entièrement », nous pensons à Notre Dame…), les meurtrières, les corbeaux, les hourds…, nous révisons le vocabulaire technique ! puis nous affinons nos connaissances sur les méthodes utilisées par les défenseurs à l’époque (« non, surtout pas d’huile, trop chère…des pierres, de la poix, et enfin les excréments !»). Nous passons la porte « barrée » et pénétrons dans la « haute cour » réservée au seigneur et sa famille : un puits et un ginko.
   Ici, on prend la dimension de l’ensemble du chemin de ronde, des tours à chaque angle, et la partie Renaissance attire le regard : 2 loggias, celle de Louis XII et Anne de Bretagne (ils sont venus passer quelques jours au château) et, fière dans le ciel, la girouette (2,50m !) en forme de dragon : ce serait la fée Mélusine !
   Nous empruntons l’escalier « pas de souris », très étroit, qui permet d’accéder (sans armes) au chemin de ronde couvert, puis à la 1ère tour : spacieuse et lumineuse car remaniée au XIXème ; l’épaisseur des murs a été réduite (de 2 à 1m) et à la place des meurtrières, 4 fenêtres qui apportent de la lumière. Tour ronde, beaucoup plus résistante qu’une tour carrée, et moins onéreuse, car moins de pierres ! La pièce maîtresse est la magnifique charpente, entièrement chevillée, avec 3 enrayures, avec au centre, la croix de St André (bonheur, puissance et prospérité). Également une très belle cheminée et une fenêtre à meneaux ouverte sur le château.
   Nous continuons le chemin de ronde, d’abord couvert, puis à l’air libre, permettant des échappées sur les douves, les jardins et donnant la vue globale sur toute l’enceinte ; nous traversons 3 autres tours plus petites, plus sombres, avec le même type de charpente ; elles ont conservé leurs meurtrières (2 soldats pour 3 meurtrières) et des niches dans lesquelles on stockait les armes, la nourriture étant attachée par des cordes à la charpente pour éviter les nuisibles.
   De la dernière tour, on descend par un escalier jusqu’aux appartements privés, situés dans la partie Renaissance. En haut de l’escalier : une statuette de Jacques Cœur qui a été (peu de temps) propriétaire des lieux : la toucher de la main gauche vous garantit chance et bonheur ! Le mobilier est d’époque : coffres, bancs, meubles sculptés avec « plis  serviettes ».
   L’arbre généalogique de la famille, placé dans la « chambre du Roi » (Louis XII) permet de mettre à l’honneur les figures illustres apparentées à la famille : la marquise de Tourzel (dernière gouvernante des enfants de Louis XVI et de Marie-Antoinette), Colbert, ministre de Louis XIV. Des grands noms pour les vitrines : Colbert dont l’emblème est la couleuvre (coluber en latin) et à qui l’on doit la forêt de Tronçais, Napoléon (car parrain d’Auguste de Colbert, dont le fils est l’arrière grand-père des propriétaires actuels), Marie-Antoinette…
   Nous sortons dans la « Haute-Cour », et admirons la façade, les marmousets de Jacques Cœur et sa femme, la devise en latin « le courage ennoblit et exalte le cœur des hommes », le blason : un lion et cinq poissons chevesnes (pour les Chevenon de Vigny) tenu par deux sirènes (Mélusine dans son bain ?), avec dessus un heaume de chevalier d’où sort un chien assis, symbole de fidélité, au dessus un ange qui tient le blason royal avec les trois fleurs de lys, et encore au dessus, la Vierge et l’enfant. Le seigneur de ces lieux promet ainsi fidélité et s’incline devant son roi avec l’aide de Dieu.
   Un escalier nous mène dans un vestibule, puis au grand salon avec sa grande cheminée (la mieux conservée du Val de Loire) qui porte les armes de Louis XII et de sa femme Anne de Bretagne (Le L de Louis, entouré de la couronne fermée, symbole d’unité, flanque le A d’Anne, taluté, entouré d’une corde, symbole de l’ordre des Cordelières, créé en 1498 par Anne de Bretagne, et de la rose d’or donnée par le pape aux femmes très charitables). Au centre, le blason royal porté par des cerfs ailés, au dessus les fleurs de lys, cinq croix de Jérusalem, un serpent allusion au blason des Visconti « serpent d’azur ondoyant en pal engloutissant un enfant » (voir la célèbre marque de voiture rouge italienne…) Tous les détails ont été sculptés dans la masse, la cheminée étant taillée dans un seul bloc !
   Le plafond, comme dans la chambre du roi est « à la Française », et les parquets en point de Hongrie sont XIXème. Une petite chapelle a été créée en 1520 dans une ancienne tour de défense (nombreuses fresques). Un balcon ouvre sur l’extérieur.

Dans la pièce suivante, on peut voir trois peintures pour chacun des trois frères Colbert, dont celle d’Alphonse de Colbert rendant visite au château de Nohant à Mme Dupin et sa petite fille Aurore, la fameuse George Sand !
   Dans la dernière pièce, tendue de tissu imitation malachite, notre guide nous rappelle qu’Ainay le vieil est sur la route Jacques Cœur, comme Culan et Meillant, et évoque les six propriétaires actuels. La grande histoire rejoint la petite !

   Il reste à découvrir les jardins, et là, trouver le silence (calme et volupté ?).
Au XVIème siècle, l’eau avait un rôle défensif ; elle joue maintenant un rôle d’agrément. Des canaux sont créés, bordés d’allées plantées d’arbres. Les jardins d’Ainay datent de cette époque. Ils ont une forme particulière : celle d’un « Grand Carré dans l’île » de plus d’un hectare, entouré entièrement d’un canal, lui-même bordé d’une allée.

   On engage donc une promenade romantique à travers la Roseraie de roses anciennes, le Carré de l’île avec ses charmes taillés en palissade et les Chartreuses avec leurs enclos.
   On entre dans le jardin des poètes et sa guérite, puis on parcourt la Roseraie : pas après pas m’arrivent les subtils parfums des roses anciennes très fleuries ; certaines sont très originales, mais je n’ai pas vu la fameuse rose de couleur verte !
   Puis on pénètre dans le Carré de l’île, traverse un canal pour accéder aux Chartreuses : cinq jardins qui évoquent l’évolution de l’art des jardins en France.
   L’entrée offre une perspective de cinq arcades avec la statue de Pomone dans le fond. Se succèdent le jardin bouquetier, le verger sculpté, le jardin de méditation, le cloître des simples et les parterres de broderie. Tous différents, originaux, habilement travaillés et entretenus.
   Et voici la gracieuse statue de Pomone et tous ses attributs : la pelle, le cordeau, les plans des jardins, la corbeille de fruits et la couronne de fleurs !

   Derniers pas à travers les topiaires et les ifs, dernière vue d’ensemble sur les canaux et le château, il faut partir !