Repères de nivellement

(par Jean -François)

CBN : Bonjour J-François, comment es tu venu à t’intéresser aux repères de nivellement ?

J-François : J’ai été intrigué au cours de mes déplacements dans mon quartier à Clermont-Ferrand par une plaque ronde apposé contre un mur et portant des inscriptions et des chiffres. En le regardant de plus près, j’ai vite compris qu’il s’agissait d’une indication de la hauteur de l’endroit. En me promenant dans la ville, j’en ai facilement découvert bien d’autres. Je me suis alors demandé depuis quand ces repères d’altimétrie existaient et à qui on devait leur installation.

CBN : Y en a t il beaucoup et où les trouve t on principalement ?

Repère fixé sur la fontaine de la Place Royale à Clermont J-François : Il y en a eu 15 000 en France qui ont été implantés entre 1857 et 1864. Mais les grandes villes en ont ajouté bien d’autres. Ces repères en fonte, scellés par du ciment sur un support vertical sont cylindriques. On les trouve en priorité sur les monuments (mairies, cathédrales ou églises, bâtiments administratifs, hôtels anciens, murs de casernes) ou  sur des constructions diverses (fontaines, lavoirs, ponts au dessus des rivières ou  voies ferrées) ou encore sur des supports très divers (angles de certaines rues, écluses, menhirs, calvaires, etc.) Sur Clermont-Ferrand, j’arrive déjà à plus de 40 et je suis loin d’avoir terminé leur inventaire avec photos à l’appui.

CBN : Peux tu nous rappeler rapidement l’histoire de leur mise en place ?

J-François : Nous sommes au début de la révolution industrielle pendant le règne de Napoléon III. L’essor des sciences depuis les réformes de la révolution française permet de répondre aux exigences des grands travaux. Repère Bourdalouë à l'entrée de la Cathédrale de ClermontC’est à l’ingénieur topographe Paul-Adrien Bourdalouë (1798-1868) qu’est revenu ce travail. Pourquoi lui ? Il faut remonter à la campagne d’Egypte de Napoléon pour comprendre. Pendant cette campagne, celui-ci avait fait étudier la possibilité de percer un canal à travers l’isthme de Suez. Pour cela, il fallait connaître les différences d’altitude entre la mer Rouge et la mer Méditerranée, bref réaliser un nivellement. A l’époque, on trouve une différence de presque 10 mètres. En 1847, une mission est envoyée sur place pour réitérer les opérations effectuées en 1799. On confie la responsabilité de la brigade topographique à un conducteur des Ponts et Chaussées né à Bourges. Paul Adrien Bourdalouë, grâce à des méthodes et du matériel novateurs, ne trouve qu’une différence minime de 80 centimètres entre les niveaux des deux mers, la mer Rouge étant un peu plus élevée que la mer Méditerranée. Repère de la ville rue Tranchée des GrasSa célébrité est en partie assurée ! C’est à lui, s’appuyant sur toute une équipe d’ingénieurs et d’opérateurs, qu’est confié ce travail d’établir le 1er nivellement général de toute la France.

Le « zéro Bourdalouë » a été fixé par une décision ministérielle du 13 janvier 1860  qui donnait comme niveau moyen de la Méditerranée le trait à 0,40 m de l’échelle des marées mesurées à Marseille.

CBN : Quelles informations portent elles ?

J-François : Quand elles n’ont pas été abîmées, dégradées ou simplement détruites, elles comportent 6 chiffres séparés au milieu par une virgule : les 3 premiers (avant la virgule) indiquent le nombre de mètres au dessus « du niveau moyen de la mer » et les 3 autres (après la virgule) les décimètres, centimètres et millimètres. La précision n’était pas prise à la légère ! Repère de la ville 31 Cours SablonOn connaît donc la hauteur du lieu où l’on se trouve d’une manière scientifique (plus haut, plus bas qu’un autre endroit pas trop éloigné) puisqu’elle est déterminée par rapport à un nivellement (niveau de base ou niveau zéro) appliquée à tout le territoire national. Il sert à calculer d’autres hauteurs proches en s’appuyant sur une mire à partir de la hauteur connue par le repère. On peut lire sur la partie haute du pourtour :

– s’il s’agit d’un repère du réseau Boudalouë, la mention « Nivellement Gal de la France »

– ou « Ville de Clermont » s’il s’agit d’un repère mis en place par la ville de Clermont-Fd.

Sur la partie basse du pourtour, l’inscription qui est gravée rappelle l’origine des calculs : « au dessus du niveau moyen de la mer ».

Sur les derniers repères installés par l’Institut Géographique National, la mention en haut est plus courte avec seulement «NIVELLEMENT GENERAL » et en bas « IGN ».

CBN :  À quoi servent elles encore aujourd’hui ?

Repère de la ville  à la Cathédrale, rue des GrasJ-François : Leur utilité est maintenant relative et surtout historique.

Relative, car la précision de l’altitude a été améliorée par une correction apportée d’abord par un autre ingénieur, Charles Lallemand (de 1884 à 1922) et, depuis 1969, par l’Institut Géographique National. Les satellites avec le réseau GNSS ont pris le relais pour des mesures plus sophistiquées (tenant compte de la pesanteur, de la forme de la terre, etc). Toutes ces données sont aussi accessibles sur internet et s’affranchissent de repères matériels. Toutefois, même avec une légère approximation, il est encore bien pratique de trouver ces indications lorsque l’on se promène.

Historique, car nous sommes en présence de témoins d’un travail gigantesque mené à l’époque grâce aux méthodes modernes issues de la science que ces ingénieurs ont su mettre au point.

CBN : Qui gère et assure l’entretien de ce réseau de repères ?

J-François : C’est normalement l’IGN qui en est chargé. Mais en dehors d’opération contrôle (en 2000 et 2004), elle n’effectue pas de remplacement ou un véritable entretien tant qu’il en subsiste suffisamment pour avoir une couverture au moyen de triplets. C’est pourquoi pendant une période en fonction des évolutions de l’urbanisme, des restructurations d’immeubles ou des modifications d’habitations, ces repères peuvent disparaître ou devenir difficilement lisibles, recouverts de couches de peinture par exemple.Repère Ville de Clermont au 22 rue  G. Clémenceau, à l'angle de la rue Bancal

L’IGN s’efforce maintenant de sensibiliser les municipalités à la conservation des repères de nivellement et leur demande de signaler tous les travaux pouvant les mettre en danger.

Les plus anciens repères (ceux du réseau Bourdalouë) ont perdu leurs chiffres alors que ceux de la ville de Clermont sont encore bien présents. Mais j’ai constaté cependant que beaucoup avaient disparu corps et biens !

On observe le même phénomène à Ceyrat où il ne reste plus qu’un seul repère visible sur les 5 qui existaient : c’est celui qui est placé contre la façade de la Mairie (altitude : 557,785 m). Tous les autres (sauf un) ont été détruits en même temps que leur support : c’est le cas de ceux qu’on trouvait sur le lavoir (altitude : 567,379 m), sur la Maison du Peuple (altitude : 575,931 m) ou la maison du lieu-dit « Pont de Journiat » (altitude : 504,535 m). Celui qui était situé sur le parapet du Pont de l’Artière (altitude : 577,845 m) et qui existait encore en 2000, est introuvable aujourd’hui.

Repère IGN CBN : Ce réseau fait il partie d’un dispositif international ?

J- François : Pas à l’époque, même si des initiatives comparables ont été prises dans d’autres pays. Mais par exemple, l’Allemagne s’est basée sur le niveau moyen des marées en Mer du Nord ou l’Angleterre avant 1921 sur le niveau moyen de la mer à Liverpool alors qu’en Autriche, depuis 1875, c’est le niveau moyen de la mer Adriatique mesuré à Triste qui servait de base de calcul. Il n’y avait donc pas de « zéro international »

CBN : Les variations éventuelles du niveau de la mer auront-elles des conséquences ?

J-François : Non, car à l’origine de ce travail, le niveau zéro repose sur la neutralisation de ce phénomène en calculant la moyenne de ces marées. Celles-ci ont été mesurées à partir des relevés en mer méditerranée au fort Saint-Jean de Marseille. L’outil utilisé s’appelle un marégraphe. Un bâtiment abritant le marégraphe de Marseille a été bâti après Bourdalouë en 1884. Il a été classé monument historique en 2002. C’est actuellement un observatoire toujours vivant et moderne.

CBN : Les mesures satellitaires ne sont elles pas l’avenir car plus précises ?Repère Ville de Clermont  au 24 rue Blaise Pascal

J-François : Elles appartiennent déjà à notre passé, car les satellites ont été mis à contribution dès les années 1970. L’altimétrie satellitaire à l’aide d’un radar embarqué sur un satellite fait ses premiers débuts en 1973 avec la station spatiale américaine Skylab et le satellite GEOS. Mais elles seront certainement encore plus d’actualité dans l’avenir, sauf si des technologies nouvelles viennent les remplacer.

CBN : Merci Jean-François de nous avoir appris tant de choses sur ce sujet.Exemple de carnet d'opérateurs aux Archives Nationales.